Construire le plus gros avion possible, c'est très bien, mais autant que ça serve... non ? C'est presque en ces termes que Stratolaunch Systems, qui développe un gigantesque avion porteur, avec la plus grande envergure jamais réalisée (117m !), a finalement dû poser le problème. L'entreprise, sous le contrôle de Vulcan Aerospace, dirigée par Paul Allen (co-fondateur de Microsoft et milliardaire) bosse sur le concept de l'avion porteur depuis 2011. Sur le tarmac de l'aéroport de Mojave, il a déjà fait quelques tours de piste, au roulage. 
Et depuis hier, on sait enfin ce qu'il est destiné à emporter sous son titanesque empennage.

Le Soleil se couche d'un côté et se lève de l'autre ? Non, il ne faut pas exagérer... 
Crédits Stratolaunch

"L'oie de carbone" projet fou ou projet flou ? 

Si vous n'avez jamais entendu parler du "Spruce Goose" ou "L'oie de sapin", à savoir l'avion géan Hughes H-4 Hercules, je vous conseille fortement de regarder le biopic "Aviator" de Martin Scorsese. Le richissime entrepreneur américain, pilote, voulait marquer sa génération tout en participant au rayonnement de l'Amérique et à l'effort de guerre. Pour éviter les sous-marins allemands, il conçut donc un titanesque hydravion, le plus grand de sa génération, qui joue dans la même classe que les A380 d'aujourd'hui, et même que l'AN-225 construit à un seul exemplaire par les soviétiques et qui sillonne encore le ciel. Avion qui ne vola qu'une fois, sous-motorisé et ayant perdu toute utilité après la seconde guerre mondiale. 
C'est cette référence qu'utilisent les détracteurs du projets Stratolaunch en appelant leur énorme avion à double empennage "L'oie de carbone". La construction a démarré en 2012-2013, et à l'époque comme maintenant, le projet n'était pas tant médiatisé, pour une raison très simple : un avion porteur à double empennage, fut-il géant, n'a pas beaucoup d'utilité s'il n'a rien à porter. Et puis celui-ci posait aussi le doute technologique... Est-il possible de faire décoller un tel monstre ? 

La longueur de l'aile est plus grande qu'une fusée Saturn 5. Crédits Stratolaunch

Si personne n'a encore pu répondre à la question du vol (ce dernier n'est prévu qu'en 2019), il y a fort à parier que l'aventure réussisse, avec les moyens de conception moderne, et une motorisation tout de même correcte de 6 moteurs de 747. A chaque fois qu'il sort de son hangar géant pour faire un petit tour sur la piste à Mojave, il se fait remarquer : difficile de passer à côté ! Toutefois restait à savoir ce qu'il allait pouvoir transporter. A la genèse du projet, Stratolaunch était en discussions avancées avec SpaceX, avant que les deux entreprises ne continuent sur des voies différentes. Puis avec Orbital-ATK pour lancer Pegasus. Ils sont allé jusqu'à signer une déclaration d'intention, mais Pegasus dispose déjà d'un avion porteur (ironiquement d'ailleurs, il est stationné sur le même aéroport), et la capacité de Stratolaunch est bien supérieure. A tel point qu'il a même été évoqué un moment des campagnes de tir pour envoyer 3 à 5 Pegasus en un seul vol. Ce qui n'aurait presque eu aucun sens (de toute façon ce n'est pas allé plus loin).
Du coup ces deux dernières années, on attendait une "grande annonce", à la recherche d'un partenariat entre Stratolaunch et l'un des nouveaux acteurs du spatial. Rien n'est venu, et pour une bonne raison. La grande annonce était le 20 août 2018 : Stratolaunch développe en interne 3 lanceurs portés.

Lors d'un test au roulage, en 2018. Deux à trois autres essais similaires sont prévus avant la fin de l'année. Selon plusieurs témoignages, les craintes sont plutôt centrées sur l'atterrissage. 
Crédits Stratolaunch

Découvrez le Kraken et ses frères

Bien entendu, on ne s'improvise pas constructeur de fusées, même aux Etats-Unis (bien que certains tentent de défier l'adage). Tout cela prend du temps, beaucoup d'argent et c'est techniquement compliqué. Toutefois, Paul Allen a demandé à ses équipes de se tourner massivement vers les nouvelles technologies, à savoir l'impression en 3D des moteurs, plus rapide et moins coûteuse que les méthodes traditionnelles. Puis l'entreprise a embauché Jeff Thornburg, qui n'est pas très connu ici mais qui a été directeur de la propulsion chez... SpaceX. Une jolie ligne sur un CV par les temps qui courent. Et cela fait déjà quelques temps que le développement a commencé, sur un lanceur qui s'appellera "Kraken", destiné à être porté sous l'empennage de leur avion porteur. Destiné à la mise en orbite de gros satellites en orbite basse, et/ou à l'envoi groupé de grappes de satellites pour des constellations, Kraken aura une capacité de 3,5 tonnes sur une orbite à 400 km d'altitude. Ca en fait un peu un lanceur hybride, car ils sont peu sur ce segment (Angara 1.2, Vega dans une certaine mesure). Et à 30 millions de dollars par tir, ce ne sera pas donné, mais comparé aux autres solutions américaines c'est avantageux (moins cher qu'une Falcon 9, aussi). 

Stratolaunch et ses différentes solutions : Pegasus, Kraken, un "kraken lourd" et une navette. 
Crédits Stratolaunch

Bon, mais il n'y aura pas que "Kraken" qui est annoncé pour 2022. Un lanceur plus puissant (dont on n'a pas le nom) utilisera une structure plus lourde, avec trois étages assemblés, un peu comme un Kraken Heavy pour emmener jusqu'à 6 tonnes en orbite basse. Et peut-être j'imagine, une capacité de 3 à 3,5 tonnes en orbite GTO pour y amener d'éventuels satellites de télécommunications ou de positionnement. 
Malgré tout, la véritable surprise c'est celle du développement d'une navette en deux temps, à savoir une première version cargo réutilisable, capable d'emmener en orbite un ou plusieurs satellites et nano-satellites avant de se désorbiter et rentrer sur Terre, ainsi qu'une seconde qui serait à terme habitée. Le projet paraît lointain ? Finalement pas tant que ça, puisque Sierra Nevada était longtemps en discussions avec Stratolaunch au sujet de sa navette DreamChaser. Bien entendu, inutile de l'attendre à court terme, mais il semble que ce modèle ait séduit les dirigeants qui cherchent à utiliser leur avion porteur géant.

Ils ont l'avantage d'être connus et bien documentés : les moteurs de l'avion Stratolaunch sont des modèles standard utilisés sur les 747. Crédits Stratolaunch

D'autres usages envisagés

Si on imagine que le Stratolaunch va un jour voler, qu'il peut se rendre à, mettons, 12 à 15 kilomètres d'altitude avec l'orientation que l'on veut pour un lancement, il pourrait quand même faire la différence avec d'autres lanceurs (bien que les lancements portés n'apportent pas une plus-value extraordinaire). Du coup avec ses fortes capacités d'emport (plus de 230 tonnes annoncées) on peut imaginer plein d'utilisations, même sur Terre. Par exemple, le transport de larges pièces de la NASA, pour l'instant transportées par barge à cause de leur masse et leur envergure. Ou bien l'adaptation à une navette existante dans un futur proche. Vous croyez que j'exagère ? Pourquoi ne pas tenter l'envoi de la future petite navette européenne SpaceRider ? Certes, il faudrait amener aussi la propulsion avec, mais c'est intéressant... 
Bref, tout ça promet. Mais d'abord, il faudra voler. Et n'oublions pas que tous ces plans, de Kraken jusqu'aux navettes possiblement habitées, ça ne dépendra malgré tout que des possibles contrats. Et là, même si l'entreprise est gérée par un milliardaire, il va falloir faire ses preuves: d'ici 2022 le marché aura-t-il suffisamment grossi pour que Stratolaunch ait sa place ? Tous les constructeurs espèrent leur part de ce gâteau...

Avouez que ça donne quand même envie de le voir décoller ! 
Crédits Stratolaunch

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